Thursday, July 19, 2007

Cien años de Soledad visto por Milán Kundera


Un inédito de Milan Kundera “La Novela y su procreación”, por ahora en francés, que gentilmente me envío un colega sociólogo, cuyo blog recomiendo.

"C'est en relisant Cent ans de solitude qu'une idée étrange me vient: les protagonistes des grands romans n'ont pas d'enfants. A peine un pour cent de la population n'a pas d'enfants, mais au moins cinquante pour cent des grands personnages romanesques quittent le roman sans s'être reproduits. Ni Pantagruel, ni Panurge, ni don Quichotte n'ont de progéniture. Ni Valmont, ni la marquise de Merteuil, ni la vertueuse Présidente des Liaisons dangereuses. Ni Tom Jones, le plus célèbre des héros de Fielding. Ni Werther. La plupart des protagonistes de Stendhal sont sans enfants (ou n'ont jamais vu leurs enfants); de même que beaucoup des héros de Balzac; et de Dostoïevski; et au siècle récemment passé, le protagoniste d 'A la recherche du temps perdu, et, bien sûr, tous les grands personnages de Musil, Ulrich, sa soeur Agathe, Walter, sa femme Clarisse, et Diotime; et Chveïk; et tous les protagonistes de Kafka à l'exception du très jeune Karl Rossmann qui a engrossé une bonne, mais c'est précisément pour cela, afin d'effacer l'enfant de sa vie, qu'il s'enfuit en Amérique et que le roman peut naître. Cette infertilité n'est pas due à l'intention consciente des romanciers; c'est l'esprit de l'art du roman (ou le subconscient de cet art) qui répugne à la procréation.

Le roman est né avec les Temps modernes qui ont fait de l'individu, pour citer Heidegger, le «fondement de tout». Grâce à l'art du roman, l'homme s'installe en Europe comme individu. Dans nos vies réelles, nous ne savons pas grand-chose de nos parents tels qu'ils étaient avant notre naissance; nous ne connaissons nos proches que par fragments; nous les voyons arriver et partir; à peine disparaissent-ils, leur place est prise par d'autres: ils forment un long défilé d'êtres remplaçables.
Seul le roman isole un individu, éclaire toute sa biographie, ses idées, ses sentiments, le rend irremplaçable : il en fait le centre de tout.

Don Quichotte meurt et le roman s'achève ; cet achèvement est parfaitement définitif parce que don Quichotte n'a pas d'enfants; avec des enfants, sa vie serait prolongée, imitée ou contestée, défendue ou trahie; la mort d'un père laisse la porte ouverte; c'est d'ailleurs ce que nous entendons depuis notre enfance: ta vie va continuer dans tes enfants; tes enfants sont ton immortalité. Mais si mon histoire peut continuer au-delà de ma propre vie, cela veut dire que ma vie n'est pas une entité indépendante, qu'elle est inaccomplie, n'a pas un sens en elle-même; cela veut dire qu'il y a quelque chose de tout à fait concret et terrestre en quoi l'individu se fond, consent à se fondre, consent à être oublié : famille, progéniture, tribu, nation. Cela veut dire que l'individu en tant que « fondement de tout » n'est qu'une illusion, un pari, le rêve de quelques siècles européens.

Avec Cent ans de solitude de Garcia Marquez, l'art du roman semble sortir de ce rêve; le centre d'attention n'est plus un individu, mais un cortège d'individus; ils sont tous originaux, inimitables, et pourtant chacun d'eux n'est que l'éclair fugace d'un rayon de soleil sur l'onde d'une rivière; chacun d'eux porte avec lui son oubli futur et chacun d'eux en est conscient; aucun ne reste sur la scène du roman depuis le début jusqu'à la fin; la mère de toute cette tribu, la vieille Ursule, a cent-vingts ans quand elle meurt, et c'est longtemps avant que le roman ne se termine; et tous portent des noms qui se ressemblent, Arcadio José Buendia, José Arcadio, José Arcadio le Second, Aureliano Buendia, Aureliano le Second, pour que les contours qui les distinguent s'estompent et que le lecteur les confonde. Selon toute apparence, le temps de l'individualisme européen n'est plus leur temps.
Mais quel est donc leur temps ? Un temps qui remonte au passé indien de l'Amérique ? Ou un temps futur où l'individu humain se fondra dans l'espèce humaine ? J'ai l'impression que ce roman, qui est une apothéose de l 'art du roman, est en même temps un grand adieu adressé à l'ère du roman."

Gracias a Sociología para notavos, quien me sugirio este articulo.

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